12/06/2009

La baie d’Alger comme vous ne l’avez jamais vue

12/06/2009 >> El Watan
On passe souvent devant sans s’y arrêter. Toute la partie est d’Alger, du port à l’hôtel Hilton, va être complètement réaménagée pour devenir un centre huppé et luxueux. Dernière promenade « sauvage » sur l’une des plus belles baies du monde.

Tout le monde connaît, ceux qui entrent à Alger ou en sortent, cette petite bande littorale nue, coincée entre la mer et l’autoroute. De cette baie, plus de 2000 ans nous regardent, depuis le jour où des Phéniciens ont mis le pied ici, sur cette demi ellipse qui relie Alger à la pointe Tamentfoust, territoire du tchoutchou maleh, les goélands
qui ont donné son nom, Icosim, « l’île aux mouettes » en phénicien. C’est ici que la wilaya d’Alger engage un faramineux plan d’aménagement, qui à l’horizon 2025, doit reconfigurer toute la baie. Mais, à part sur la partie est, les travaux n’ont pas démarré et pour l’instant, d’ouest en est à partir du port, on peut, en passant par la ligne des rochers et une série de petites plages, encore se promener à pied jusqu’à l’embouchure du fleuve El Harrach, au-delà duquel votre ticket n’est plus valide. Et rencontrer des gens, passagers ou habitués des lieux.

Salée sucrée
Accès règlementé et agents de sécurité en tenue correcte, c’est l’usine de dessalement d’eau de mer. En contrebas dans les rochers, les premiers pêcheurs. Du poisson dans cette mer qui renfermerait selon une récente étude un taux de mercure 30 fois supérieur à la norme ? « Oui », répond l’un des pêcheurs. C’est en fait l’Oued El Harrach, à l’est de la baie, qui est pollué. « Avec un vent d’est, tu as tous les déchets. Mais là, c’est du gharbi, pas de problèmes. » Alger est prise sous la brume de juin et de cet emplacement remarquable, on a du mal à en deviner les détails. Première surprise, une petite plage, en contrebas d’un chantier, celui du groupe italien Astaldi. Une plage, des rochers et de l’eau, et une autre surprise, sous la forme d’une jeune femme en train d’enlever son jean pour se mettre en maillot. Plus haut, abrité par le grillage du chantier Astaldi, Amin a allumé un feu pour préparer sa grosse théière. Quelle eau ? « Non, elle ne vient pas de l’usine, elle n’est pas bonne, je préfère la ramener de la gare routière. » Amin vient du quartier de Brossette, plus haut, et descend chaque jour par la passerelle autoroutière pour faire son thé et le vendre à la gare d’El Kharrouba, plus loin, de l’autre côté de l’autoroute. « Oui, je sais qu’il va y avoir un gros projet ici, peut-être y trouverai-je un job », répond-il sans conviction. En voyant la mer toute proche et les dizaines de bateaux qui attendent en rade, on ne peut s’empêcher de penser à la harga, l’exil clandestin. Amin sourit, l’air perdu dans le large. « Mettre 10 millions dans un voyage aussi risqué ? Je préfère les jouer au poker avec l’espoir d’en gagner 10 fois plus. » L’endroit est superbe et on a du mal à croire que l’on est presque en plein centre d’Alger. « Si, si, je me baigne. » Quant à la fille qui bronze à quelques mètres plus bas, « une prostituée qui travaille dans les rochers », explique Amin d’un ton aussi neutre que la couleur de l’eau.

Le chantier du charpentier
Passée la passerelle de Brossette et le chantier Astaldi, c’est une autre configuration. Des rochers, une bande de terre nue et des petits aménagements, bancs de pierre et escaliers taillés rapidement. Là, des promeneurs, des méditants et des curieux traînent, chacun de son côté, en évitant les collisions. C’est ici que le cargo Béchar s’était échoué en 2004. Il n’y a plus aucune trace du bateau mais entre les rochers, c’est une vieille prostituée qui y a échoué. Ridée comme la mer, elle travaille ici et Amin, qui connaît bien la faune du coin, s’en était étonné : « Si, si, elle a des clients, à 200 DA », ajoutant en riant, « et en plus, elle exige le port du préservatif. » Un bruit dans le ciel. L’hélicoptère de la DGSN passe en longeant la baie, pour des rondes à cadence rapide. La vieille se cache dans les rochers puis ressort quelques minutes après. Ici, le projet du cabinet français d’architecture Charpentier doit être érigé et rayer de la carte toutes ces travailleuses et leurs clients, mais aussi la petite plage des Sablettes un peu plus loin, réduite aujourd’hui à une petite crique jouxtant la centrale à béton de Cosider. Pendant que quelques enfants nagent, un vieux pêcheur raccommode son filet. Un véritable petit village de pêcheurs, en pleine baie. Trois baraques et des barques. Il est 17 heures, Farid et son ami sont prêts à sortir en mer. « Construire ici ? » Ils n’y croient pas, bien qu’ils soient au courant. Farid, qui vient de Bachdjarah, est pêcheur de père en fils et il vient ici depuis plus de dix ans. Il montre la bande au-dessus de la plage. « Il y a des tuyaux de gaz qui passent, inconstructible. » Farid explique qu’il vaut mieux rester ici, entre gens du coin. Et ne pas aller vers l’est, vers les rochers, où une tout autre faune traîne. « Les passagers de la gare d’El Kharrouba vont là-bas respirer l’air marin en attendant leur car », explique-t-il. « Ils se font parfois détrousser. »

Les oliviers de Dahli
Après la centrale à béton de Cosider, c’est l’oued El Harrach, fin de la promenade. Impossible de l’enjamber et de toutes façons, c’est là que débute le projet « Alger Médina » du groupe Dahli, qui est déjà bien parti, en avance sur les autres projets de la baie. Le centre commercial devait ouvrir ses portes en 2008 et les travaux de réalisation d’un ensemble immobilier, tours de bureaux et appartements de standing, devraient être achevés en 2009, selon le président de Dahli, Abdelouahab Rahim. 2000 oliviers centenaires ont déjà été importés d’Espagne pour encadrer la zone de loisirs, qui comprendra espaces culturels, et un large boulevard piétonnier en bord de mer pour les promeneurs, du moins en théorie. Un architecte, bien au fait des projets, des masses d’argent injectées et des coups tordus qui s’opèrent autour de cet immense marché, plaisante : « Du haut de cette baie, 3 milliards de dollars vous contemplent ». Allusion au minaret de 214 mètres qui surplombera la baie, touche mégalo de l’une des plus hautes mosquées du monde. La baie d’Alger n’a plus qu’à bien se tenir.

Comment s’y rendre ?

Pour aller se promener le long de la baie d’Alger, quatre solutions. La première, en venant de Dar El Beïda, prendre la bretelle de Hussein Dey et entrer par une petite piste à droite, vers la centrale à béton de Cosider. Puis la dépasser en prenant une piste vers la gauche, en contrebas, pour atterrir directement sur la plage des Sablettes. Autre solution, stationner à Hussein Dey (près de Lafarge) et emprunter à pied la passerelle autoroutière qui descend vers la mer, direction Alger. Troisième solution, stationner sur le parking de l’usine de dessalement d’eau de mer en feignant d’y avoir quelque chose à faire, puis continuer à pied vers l’est en passant derrière le chantier Astaldi. Enfin, la solution pour cascadeurs, stationner directement dans la gare routière d’El Kharrouba (50 dinars) et traverser l’autoroute en courant. Attention, tout est dans l’attente d’un vide relatif et la rapidité de l’exécution
Par Chawki Amari

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Magnifique article et tres instructif, entre reves et desillusion, l'expension d'Alger semble remonter a Mathusalem, sans parler de ses differents projets restes des fonds de tiroirs.

Article realiste et ironique par la meme occasion....pauvre d'Alger et des Algerois qui sont littrealement non seulement resignes mais incredules.